Mes instruments de musique

Je vais décrire ici cet instrument peu courant et sa remise en état qui était bien nécessaire puisqu'à la livraison il ne poussait que de petits cris lorsqu'on donnait de grands coups de soufflet !

Figurant sur la même page du catalogue Kasriel de 1927 que le guide chant que je présente ici, je l'identifie comme un "Hero-flute". Cet instrument a été construit par l'importante fabrique d'harmoniums "Les petit-fis de M.Kasriel" à Paris. Il figure dans leur catalogue de 1927 sous la référence n°56 : 2 jeux d'anches, 3 octaves 1/4, 4 registres (Flûte, Forté, Voix céleste, Trémolo). Vendu avec l'instrument l'étui a disparu !

Une marque figurant sur une petite plaque métallique fixée au milieu de la planche supérieure, est celle de FOETISCH FRERES (S.A.). à Lausanne qui n'est probablement que le revendeur, mais qui appose sa marque comme cela se pratiquait couramment à l'époque. Foetisch Frères était une très ancienne enseigne de musique à Lausanne qui avait également des magasins à Vevey et à Paris. J'ai retrouvé deux documents : la couverture de leur catalogue et la photo du magasin à Lausanne !

En tournant les pages du catalogue Kasriel un peu plus loin, on trouve un autre instrument intéressant le "Célestina-flute" :

Cet instrument est très semblable au Hero-flute mais la caisse est un peu différente (avec un registre au milieu du clavier). Néanmoins il est équipé d'une pédale permettant de tirer le soufflet en posant l'instrument sur le coin d'une table ! Et on retrouve notre poulie et le petit levier sur le soufflet. On aperçoit également une petite pièce vissée à l'arrière qui guide probablement la corde de tirage. C'est l'explication du trou rebouché !

Je pense donc pouvoir dire que c'est bien un Hero-flute qui a été équipé de ce système rudimentaire de pédale que Kasriel installait également à la demande comme on le voit sur cette photo du musée de l'éducation à Rouen où on distingue la fameuse poulie à gauche du clavier : il s'agit ici du modèle n°55 à 1 jeu d'anches et 3 registres (Flûte, Forté, Trémolo). Bien que cela ne soit pas sa destination première cet instrument a du être utilisé comme guide-chant scolaire ?

A l'origine de l'harmonium indien ?

On sait que, au début de son histoire, l'harmonium indien provenait d'instruments d'origines européennes et on a retrouvé (grace à des abonnés du forum "Harmonium et anches libres") ce type d'instrument exporté à Ceylan. On ne peut pas contester la ressemblance avec cet harmonium indien récent dans les dimensions, l'étendue du clavier de 39 notes, la position du soufflet et des registres sous le clavier. La principale différence notable est dans les trois petits registres supplémentaires qui actionnent les bourdons de l'instrument indien.

Il serait intéressant, en dehors de son histoire à l'exportation, de retrouver à quel usage était destiné ce modèle Hero-flute : instrument de voyage, guide-chant ? Cette dénomination curieuse n'était-elle pas destinée à concurrencer les Harmoniflutes de Constant Busson ou de Mayer Marix ? (on en reparlera bientôt sur ces pages...)

Il présente un clavier d'un peu plus de 3 octaves de do à ré. Les touches sont très réduites : L'empan (octave) est de 133 mm au lieu de 145 mm sur le guide chant Kasriel et 165 mm sur un piano moderne !

Il est pourvu d'un soufflet à l'arrière de l'instrument pouvant être actionné avec la main gauche (tout comme sur les instruments indiens). Ce qui ne laisse que la droite pour jouer. Sauf à utiliser la fameuse pédale disparue ! Ce soufflet communique avec une réserve.

- Flûte : qui ouvre le sommier en sourdine (trou d'admission réduit): on entend alors le jeu principal en sourdine

- Forté : qui ouvre normalement le sommier : on entend le jeu principal à son niveau normal

- Voix Céleste : qui ouvre de même le sommier mais qui bascule un dispositif étouffant le jeu de celeste : on entend alors les deux jeux qui forment une voix céleste.

- Trémolo : qui ouvre le sommier à travers un petit soufflet battant (trémolo habituel des harmoniums français).

Ces quatre registres ne sont pas fait poue être combinés. Il est en effet inutile de tirer plus d'un registre, les registres tirés rendant inopérant les autres dans l'ordre de priorité : voix céleste - forté - flûte - trémolo

Le diapason est très haut : La - 458 Hz ! C'est proche du diapason officiel de l'Empire Britannique ! Cet instrument était peut-être destiné à l'exportation ? (vers les Indes britanniques !)

Son numéro de série 12 682 laisse penser à une fabrication assez ancienne. Après le numéro 10 000 il semble que l'on soit dans les premières productions après l'installation rue Tolain en 1905. Ce qui indiquerai une fabrication vers les années 1906-1907 ?.

Je commence par démonter la poulie (dont la grosse vis bloque tout autre démontage) et le petit levier fixé sur le soufflet. Je ne pense pas remonter par la suite ces éléments maintenant inutiles et préfèrerai revenir à un Hero-flute normal ! Je les conserverai néanmoins précieusement !

L'ensemble se démonte ensuite facilement en enlevant les vis apparentes. Les touches sont très simples et munies de deux garnitures de soupapes qui semblent récentes (un premier essai de restauration à donc déjà eu lieu !)

La bascule des touches a été curieusement modifiée. En effet à la place des rondelles de feutres habituelles sur le point de basculement on trouve une longue bande de feutre et peau semblable aux garnitures de soupapes. Etait-ce pour rattraper l'épaissseur trop importante de ces soupapes ? Ce système ne permet pas de régler individuellement l'enfoncement des touches. La partie arrière du sommier est incurvée au centre ce qui réduit fortement l'enfoncement des touches centrales. L'appui des touches est une planche en biseau recouverte d'une épaisse bande de feutre rouge. Cette planche est fixée à l'avant du sommier qui lui est rectiligne. Ce qui explique pourquoi les touches centrales n'ont pratiquement plus d'enfoncement Tout ce dispositif qui n'est manifestement pas d'origine devra être revu ou tout au moins réglé pour tenir compte de cette convexité du sommier qui ne sera probablement pas réparable.

Le soufflet semble en bon état et la réserve se remplit correctement. On aperçoit le ressort de pression de la réserve à travers l'ouverture d'aspiration sous l'instrument.

Le sommier est fixé à l'avant par deux charnières de basculement et serré à l'arrière seulement par deux verrous en bois. Celui de droite était resté ouvert ! Une fois démonté je peux inspecter la géométrie du sommier :

La partie arrière de ce sommier est incurvé d'au moins 2 mm vers le centre (ce qui est impossible de voir sur la photo). De ce fait il ne peut pas être étanche sur son cadre !

Il est assez rare que ce type d'instrument ne soit muni que de 2 verrous. Sur le guide-chant il y avait bien les deux mêmes verrous et les deux charnières mais ils étaient renforcés par 4 vis assurant la jointure parfaite du sommier sur son cadre. On aperçoit sur cette photo les registres. Sur le 3ème on voit la pièce de bois surélevée qui actionne la barre d'étouffemenr de la voix céleste.

En retournant le sommier, on voit les deux séries d'anches qui sont dans la case unique du sommier mais l'une d'elle (Céleste) a les anches étouffées par une barre basculante garnie de feutre. Cette deuxième série est légèrement désaccordée pour donner l'effet "voix céleste". Sur la photo ci-dessous la barre de feutre est démontée et retournée.

Les anches sont bien marquées KASRIEL et sont en bon état. Seules les quatres dernières de chaque série sont un peu oxydées.

Tentative d'explication des défauts constatés :
L'instrument a été restauré (quand ?) et il devait alors fonctionner correctement. Ensuite il a été oublié dans un endroit probablement humide. Mais il est resté ainsi avec le verrou de droite ouvert ! Le sommier s'est donc déformé comme il le pouvait, c'est à dire par l'arrière-droite puisque le devant était fixé par les charnières. Le sommier étant constitué de couches de bois différents il s'est alors incurvé et le coté droit s'est écarté de son joint. Cela explique aussi pourquoi les anches aigues situées justement à droite sont les seules à être oxydées.

Mai 2019 : début de la restauration
Redressement du sommier :

Après avoir protégé les anches, je fixe au moyen de serre-joints un profilé métallique destiné à guider le rabotage. Ensuite un coup de rabot le long du profilé : photos avant et après :

Après ponçage pour assurer la planéité du joint, un premier essai : ... ça fuit toujours !
Après examen minutieux au moyen d'un lampe électrique, je m'aperçois qu'il y a au moins quatre endroits ou le cadre est légèrement décollé. De plus dans la laye, il y a également un coté qui semble décollé !
Il faut maintenant faire chauffer la colle !!! Tous ces décollements ou fentes sont remplis de colle d'os et serrés par des serre-joints. Ensuite par précaution je les renforce au moyen d'une bande de peau collée.

Ensuite j'ai percé des trous pour insérer 4 vis de serrage du sommier sur la laye. C'est exactement ce que fait Kasriel sur ses guides chants, et j'ai vu l'intérieur d'un Héro-flûte (3 registres et un seul jeu) également équipé de 4 vis de serrage. Je pense donc que Kasriel s'était lui-même rendu compte que l'on ne pouvait pas se reposer uniquement sur deux petites charnières et deux verrous pour assurer une bonne étanchéité !

Une fois le sommier bien fixé on s'aperçoit d'ailleurs que les verrous n'assurent plus aucun serrage !

Nouvel essai : Il chante !

Du fait de l'incurvation du sommier, l'enfoncement des touches était devenu quasiment nul dans le tiers central du clavier. La correction a été effectuée très simplement en rabotant le centre du dessous de la planche située sous les touches, et en la reclouant en place. Je n'ai ainsi même pas eu à changer le feutre rouge !

Nettoyage des quelques anches oxydées dans l'aigu. Elles sont bien encrassées mais les languettes sont en bon état.

Après un nettoyage aux ultrasons et une vérification soigneuse des languettes tout rentre dans l'ordre et toutes les anches parlent correctement. J'ai ensuite remis la barre d'étouffement des anches de voix céleste.

L'ajustement de cette barre afin que le feutre étouffe bien toutes les anches a été particulièrement fastidieux (réglage du positionnement, ajout de cales, etc ...)
Ensuite il restait à lester correctement le petit soufflet du trémolo. J'ai utilisé un petit clou de laiton collé. Cela donne un trémolo assez lent qui fait penser à la mandoline !

Une fois tout remis en place : miracle ... tout fonctionne correctement !

Il est maintenant nécessaire de poncer et repeindre la planche supérieure. Contrairement au reste de l'instrument qui est très propre, cette planche est entièrement rayée et griffée (comme on peut le voir sur la photo de la plaque Foetisch).

Pendant le séchage des différentes couches de peinture, j'ai décidé de rendre à César ce qui appartient à César ... ou plutôt à Kasriel !
J'ai donc essayé de réaliser une plaque "Hero-flute" au moyen d'une photo retouchée, redimensionnée et imprimée sur un bristol . Je l'ai collée sur un morceau de fin contreplaqué, découpée et vernie. Elle pourra faire illusion pendant que je recherche une plaque authentique (et je crains que ce soit long et difficile ...)

Et voici quelques photos de l'instrument terminé ...